LA NATURE DANS L'ART
CONTEMPORAIN
PLAN : . Introduction : la nature au fil des siècles
. 1960-1970 : Changement de paradigme de la nature dans
l'art
. Catégorisation des pratiques artistiques autour
de la nature
- Nature reconstruite
- Nature incisée
- Nature voilée ou empaquetée
- Nature et astronomie
- Nature et espace
- Nature et symboles
- Nature prise entre les murs
- Nature domptée
- Nature modelée
- Paysage miniature
- Beauté cachée
- Nature comme matériau
- Nature figurative
. Esthétique de ces oeuvres
. Mouvements artistiques : Land Art et Earth Works
. Conclusion
INTRODUCTION : LA
NATURE AU FIL DES SIÈCLES
Nicolas Poussin, Paysage avec les
funérailles de Phocion (1648)
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Georges Braque, Marina - L'Estaque
(1906)
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La nature a toujours été au centre des préoccupations
des artistes. Des fresques égyptiennes en passant par la peinture
de la Renaissance et du XVIIIème siècle, l'histoire de l'art
nous offre des approches très diversifiées de la nature selon
les civilisations et les siècles: le paysage sert d'environnement
narratif, symbolique ou ornemental aux hommes ou aux animaux; les fruits
et les fleurs sont porteurs de symboles religieux ou philosophiques. Au
XIXème siècle, le paysage devient un genre à part
entière, et suscitera tout au long du XXème siècle
des approches sensorielles ou émotionnelles. Parfois idéalisé,
parfois symbolique, parfois réaliste, le paysage donne lieu à
de nombreuses interprétations dans lesquelles les artistes expriment
les rapprots qu'ils entretiennent avec la nature. La nature est alors objet
de représentation, sujet de l'oeuvre peinte.
1960-1970
: CHANGEMENT DE PARADIGME DE LA NATURE DANS L'ART
Dès la fin des années soixante,
beaucoup d'artistes quittent l'atelier pour investir la nature. Ils interviennent
directement sur le paysage ou introduisent des éléments naturels
dans les galeries. Ils établissent des rapports nouveaux entre l'art
et la nature qu'ils considèrent non plus comme modèle mais
comme support ou matériau.
CATÉGORISATION
DES PRATIQUES ARTISTIQUES AUTOUR DE LA NATURE
Double Negative (1969-1970)
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. Nature
reconstruite
Michael Heizer reconstruit la
nature avec une certaine violence en extrayant et replaçant d'immenses
blocs de pierre, ou, en faisant transporter plusieurs tonnes de roche et
de sable dans des déserts. |
Displaced-Replaced Mass
(1969)
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Nature incisée
Cette volonté de manifester l'emprise
de l'homme sur la terre se traduit aussi par des incisions immenses. Les
artistes opèrent alors un travail sur les notions de plein et de
vide dans des oeuvres qui s'apparentent plus à des sculptures, dont
le matériau est le désert (Michael
Heizer) ou le flanc de montagne, (Alberto
Burri).
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Michael Heizer, Isolated Mass/Circumflex
n.9 of the nine Nevada Depressions (1968)
Alberto Burri, Cretto (1980)
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Nature et astronomie
Certains artistes
vont jusqu'à construire in situ des oeuvres architecturales, renouant
avec les constructions archaïques et les cosmologies primitives.
L'Observatory de Robert Morris
ou les Sun Tunnels de Nancy Holt
sont des oeuvres tournées vers l'extérieur. Elles donnent
à voir l'espace environnant en le découpant, le fragmentant,
le cadrant. Elles jouent également des rayons solaires pour révéler
différentes perceptions d'un même lieu selon l'heure du jour
et l'époque de l'année. Enfin, elles nécessitent la
présence physique du spectateur pour que ce dernier puisse en mesurer
tout l'impact.
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Nancy Holt, Sun Tunnels (1973-76)
Robert Morris, Observatory (1970-77) |
In/Out/Left/Right (2001) |
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Nature et espace
Dans un esprit analogue, Richard
Serra construit des oeuvres monumentales en acier pour créer
des espaces dans un lieu donné. Faites de plaques de tôles
en équilibre les unes contre les autres, ces travaux jouent sur
les notions d'extérieur- intérieur, exigeant une participation
active du spectateur. |
Five plates, two poles
(1971) |
Andy Goldsworthy, Broken Pebbles
(1997)
Robert Smithson, Spiral Jetty,Great
Salt Lake, Utah (1970)
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Nature et symboles
Les oeuvres réalisées dans la nature
sont bien souvent porteuses de messages qui se cachent sous des formes
symboliques (cercle, spirale). La Spiral Jetty de Robert
Smithson est devenue l'oeuvre représentative du Land
Art. L'histoire même de cette oeuvre s'inscrit dans sa forme.
Exposée à l'érosion naturelle, à la désagrégation
et à la désorganisation, elle met en évidence la notion
d'entropie. Toute création réalisée dans et avec la
nature est appelée à disparaître, la nature reprenant
ses droits sur l'homme. La spirale symbolise à la fois les cycles
naturels et leur victoire sur l'homme. |
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Nature prise entre les murs
Peut-être pour conjurer le sort réservé
aux oeuvres in situ, certains artistes introduisent la nature dans les
musées. Guiseppe Penone recouvre
les murs d'une galerie de feuilles. Richard
Long réalise des cercles avec des pierres ramenées de
ses longues marches solitaires dans des coins reculés de la planète.
Derrière ces oeuvres apparaissent encore les formes géométriques
et sympboliques du carré et du cercle, témoignant de l'emprise
de l'homme sur la nature qu'ils plient selon leurs désirs...en oubliant
toutefois, comme dans l'oeuvre de Penone que la nature finira toujours
par reprendre ses droits, les feuilles se décomposant, entraînant
avec elles la destruction de l'oeuvre.
Giuseppe Penone, Respirare l'ombra
(1999)
Réseau métallique
et feuille de laurier
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Richard Long, Red Slate Circle
(1988)
Richard Long, Ocean Stones Circle
(1990)
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Nature domptée
Walter de Maria
renonce à toute volonté dominatrice pour ruser avec l'indomptable
et canaliser les forces naturelles. La foudre est le matériau de
The
Lighting field. Quatre-cents mâts d'acier disposés en
un rectangle d'un mile sur un kilomètre en une région désertique
du Nouveau Mexique connue pour la violence de ses orages. Il organise l'espace
dans l'espoir que la foudre s'abattera sur ces poteaux. Un peu démiurge,
l'artiste veut jouer des phénomènes météorologiques
pour créer une oeuvre éphémère qui ne dure
que l'instant de l'éclair. |
Walter de Maria, The Lightning
Field, désert du Nouveau Mexique (1977)
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Nature modelée
Des artistes, au contraire, désirent marquer
leur présence sur la nature. Au lieu de réaliser des oeuvres
immenses, ils se contentent de porter des gestes simples. Richard
Long parcourt le désert ou les montagnes, cartographiant ses
randonnées, déplaçant les pierres sur plusieurs kilomètres.
Guiseppe
Penone marque le paysage de figures anthropomorphes représentant
son propre corps. Robert Smithson se contente
de retourner un arbre, les racines en l'air, offrant aisni une vison inhabituelle
et ludique de la nature.
Richard Long, A Clearing, A
Six Day Walk in the Hoggar, Sahara (1988)
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Guiseppe Penone, Continuerà
a crescere tranne che in quel punto (s.d.)
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Robert Smithson, First Upside
Down Tree (1969)
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Paysage miniature
Abordant l'idée du microcosme et du macrocosme
et affirmant que le fragment est révélateur de la totalité,
Olaf
Nicolai expose des univers végétaux qui, lorsqu'ils sont
soumis à l'oeil de la caméra vidéo, deviennent de
vrais paysages à l'échelle humaine. Sous leur aspect poétique
et magique, ces oeuvres témoignent de la relativité qui existe
entre l'échelle de la nature et l'homme. |
Olaf Nicolaï, Interieur/Landschaft,
Ein Kabinett (1996-1997)
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Stone Towers (s.d.)
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Nature comme matériau
Andy Goldsworthy
prolonge cette démarche en travaillant avec les qualités
visuelles et tactiles des éléments naturels qu'il trouve
sur place. Agissant sur des pierres et des débris végétaux,
pétales, feuilles, brindilles, il ennoblit chaque élément
dans des agencements finement travaillés. Refusant de laisser des
signes de sla présence humaine, il intègre les processus
naturels qui entraîneront la destruction de ses oeuvres éphémères. |
Stone River, Campus of Stanford
University, Californie (2001)
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Ice Star (s.d.)
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Red maples leaves (1991)
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Leaves with Hole (1997)
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Nature figurative
Quelques artistes jouent de cette ambivalence
nature-homme. Serge Goudin-Thébia,
par exemple, crée des œuvres figuratives avec des éléments
naturels. Éphémères, ses oeuvres posent la question
de la vie et de la mort, du naturel et de l'humain, du plein et du vide.
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Serge Goudin-Thébia, Guerriers
de l'Absolu (1998-2000)
Feuilles de coccoloba, baguettes
de bambous, lunettes, chaises longues
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ESTHÉTIQUE
DE CES OEUVRES
L'esthétique de ces oeuvres repose sur
le désir :
- d'établir une communication intime, un lien poétique et
sensible entre l'homme et la nature
- de révéler un potentiel artistique préexistant
- de déclencher une émotion chez le spectateur
- de provoquer des relations sensorielles et affectives entre la nature
et le spectateur
- de faire l'éloge de la fragilité, du transitoire, de l'éphémère
- d'apprivoiser ou de dominer la nature
Elles répondent :
- à une volonté d' investir des espaces vierges pour leur
donner sens et inscrire l'humain dans la nature (déserts)
- ou, à l'inverse, à un désir de se laisser habiter
par la nature en renonçant à un anthropocentrisme dominateur
- à un refus du système culturel, représenté
par les musées et les galeries
- à une critique du marché de l’art et de son mode de fonctionnement
d’économie de marché
Elles impliquent bien souvent le spectateur comme
partie intégrante du processus. Elles le rendent actif, confronté
à ces oeuvres qui sont réalisées dans des lieux reculés,
loin de toute civilisation.
MOUVEMENTS
ARTISTIQUES : LAND ART ET EARTH WORKS
Toutes ces oeuvres peuvent être regroupées
sous les termes Land Art et Earth
Works désignant les formes d'art prenant la nature comme lieu,
support, sujet et matériau de création. Ces actions sont
souvent à la fois monumentales, minimales et conceptuelles. Elles
peuvent être également de tailles modestes et pleines de poésie.
Les artistes interviennent sur ou dans le paysage et le modifient de manière
provisoire ou durable. Certains ajoutent à leurs oeuvres des éléments
étrangers, d'autres se contentent d'utiliser les matériaux
existants. La photo, la vidéo, l'écriture et le dessin sont
employés pour témoigner, pour garder trace des oeuvres réalisées.
Parfois, les photographies sont les oeuvres elles-mêmes (Andy Goldsworthy,
Nils-Udo, Yukio Nakagawa).
CONCLUSION
La catégorisation non-exhaustive proposée
ci-dessus montre l'extrême richesse des pratiques artistiques contemporaines
centrées sur la nature. Nous constatons deux tendances aux
antipodes : l’une explore la nature de façon presque initiatique
avec peu de moyens matériels, l’autre investit le paysage existant
en entreprenant de gigantesques travaux. Quelque soit la tendance à
laquelle appartiennent les artistes, ces nouvelles approches de la nature
agissent comme une interrogation de notre devenir et de notre présence
au monde.
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